Original, malgré tout

Festival / Après une première édition où le public avait répondu présent, L'Original remet le couvert hip-hop pour un deuxième festival accouché dans la douleur mais préservant tant bien que mal l'esprit et la qualité de la manifestation. Christophe Chabert

La politique du tout-événementiel culturel serait-elle en train de toucher ses limites ? L'explosion ahurissante du nombre de festivals et manifestations ces trois dernières années à Lyon n'avaient pas cessé de soulever questions, polémiques et inquiétudes, et il semble qu'aujourd'hui l'heure soit à la marée basse. C'est l'expérience que vient de vivre le collectif L'Original qui avait lancé en 2004 un ambitieux festival consacré au hip-hop sous toutes ses formes (break, graff, Dj'ing et rap), pour lequel il avait fédéré de nombreux activistes locaux de la discipline et, cerise nécessaire sur le gâteau, mobilisé une frange importante du public lyonnais. Jean-Marc Mougeot, co-directeur du festival avec Eric Bellamy, tire un bilan chiffré plus que positif de cette première édition : "En quatre jours, on a réuni près de 10 000 personnes. On a eu un public au-delà du public hip-hop, pas seulement banlieue et pas seulement jeune : le festival a attiré des passionnés et des curieux. On a fait complet au Transbordeur sur le concert de Raekwon, 2500 personnes pour le battle hip-hop à l'Astroballe, et 5000 personnes à la friche RVI pour l'événement autour du graff. On a pu constater qu'il y avait un bon potentiel d'ouverture sur des publics différents, même familiaux en ce qui concerne la danse et le graff... En plus, on a été perçu comme un lieu de ressources hip-hop : on recevait des coups de fil pour savoir comment monter un concert, comment faire une première partie, comment des artistes parisiens pouvaient se produire à Lyon..." L'objectif de départ, qui consistait à retracer une rapide histoire du hip-hop de ses origines à ses pratiques contemporaines, était là encore artistiquement abouti. Que demander de plus ? "On a donc eu envie de continuer" conclut logiquement Mougeot...Au rabaisLogique là aussi, l'envie de pérenniser le projet lors d'une deuxième édition se double du désir de le voir grossir et se structurer. C'est là où les bugs commencent. "Les politiques nous ont dit qu'ils allaient nous suivre, refaire la même chose l'année suivante en mieux, en plus gros. En septembre, on a demandé 70 000E à la Ville, au lieu des 50 000 obtenus l'année dernière. Finalement, ils nous ont dit que ça ne serait pas possible, que ça serait plutôt 50 000 à nouveau. On a réajusté le projet sur cette somme. Et en décembre, ils nous ont parlé de restrictions budgétaires : ils ne savaient pas de combien serait la subvention ni même s'il y aurait une subvention. On travaille, on fait des projets, on y passe du temps ; mais comment faire un festival en avril si on ne sait toujours pas en décembre si on va être aidé ? On revenait donc à la même position que l'année dernière : en janvier, on ne savait pas si le festival pouvait avoir lieu..." Finalement, ils obtiendront 30 000E de la municipalité, presque la moitié de l'enveloppe précédente... Fidèles à un des mots d'ordre historique du mouvement ("Hip-hop never stop"), Mougeot, Bellamy et les bénévoles de l'équipe revoient donc leur copie à la baisse, rognent sur certains événements, cherchent de nouveaux soutiens, en décrochent quelques-uns (avec la fondation CMA en Suisse, avec l'association Visual Up Date qui prend en charge l'événement graff à la friche RVI, un temps abandonné) et surtout se creusent les méninges pour respecter l'esprit de la manifestation malgré les contraintes.Hip-hop never stop"La frustration, c'est qu'on n'a pas eu vraiment le choix : le Battle, c'est pas possible, le Graff, c'est pas possible, donc qu'est-ce qu'il reste ? On a réuni le collectif, et on a cherché des idées pour pallier le manque d'argent. Par exemple, la soirée d'ouverture consacrée aux clips : j'avais reçu des vidéos de groupes lyonnais qui ne sont pas meilleures mais pas plus pourries que les autres clips, et j'ai pensé qu'il serait bien de les passer en ouverture du festival. De fil en aiguille, on a imaginé retracer l'histoire du hip-hop à travers ses clips cultes ou ses écoles de clips. Ensuite, on l'a associé à un aspect musical réunissant les trois groupes de hip-hop acoustiques français. À l'arrivée, ça fait une soirée originale et ludique." Dès ce premier soir (au Ninkasi kao), l'équipe fait preuve d'un sens de la programmation intacte, en invitant le groupe Cinquième colonne, emmené par le rappeur stéphanois Fisto, découvert l'an dernier avec un single génial, Juste un loser. Le reste du festival est là encore de bonne tenue : conférence inédite et passionnante réunissant à l'Université Lyon 2 sociologues et rappers suisses, français ou africains (qui se produiront le soir même au Ninkasi), carte blanche laissée à Dee Nasty pour promouvoir son revival Zulu Nation, plateau rap français associant nouvelle vague et jeune ponte (le contesté Kerry James), événement entièrement féminin réunissant graff, mix et défilé de mode au restaurant Belles en vogue, prometteur plateau au Musée d'Art Contemporain consacré à la Scratch Music, et enfin apothéose au Transbordeur avec la venue du mythique Guru, animateur (avec Dj Premier) des non moins cultes Gangstarr, dont l'énergie pionnière était toujours intacte sur leur dernier album sorti il y a presque deux ans. Le festival aura de la gueule, c'est une certitude. Et derrière la mélancolie des constats, on sent que la foi de Mougeot envers la manifestation est toujours intacte, avec ou sans le soutien des pouvoirs publics...L'Original 2005Du 6 au 10 avrilProgramme sur www.loriginal-festival.com

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