Pauline Ribat : « prendre urgemment la parole »

Depuis l'aube (ode aux clitoris)

Théâtre de la Renaissance

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Théâtre / Avant que l’affaire Weinstein ne provoque une onde de choc irréversible, la comédienne Pauline Ribat a écrit et mis en scène son premier spectacle en 2016. "Depuis l’aube (odes aux clitoris)" est plus que jamais d’actualité. Elle continue de le porter haut et fort.

D’où vient cette idée de spectacle ?
Pauline Ribat : Je suis tombée sur un reportage d’une jeune femme belge se promenant dans la rue en caméra cachée (NdlR : on y entendait les réflexions déplacées des hommes qu’elle croisait). Ce qui m’a vraiment marquée est à quel point j’avais intégré la violence des regards, des mots, des corps mis en pâture, devenus objets de désir. J’en ai beaucoup parlé avec des amies, des collègues et toutes on avait développé des réflexes comme s’habiller en fonction de l’heure à laquelle on rentre le soir, une fille me racontait qu’elle regardait dans l’ombre des lampadaires si quelqu’un la suivait ! Je me suis dit qu’il fallait prendre urgemment la parole car cela concernait en effet 100% des femmes ; de l’agression verbale au viol, on a toute une histoire à raconter.

Vous employez un langage cru dans votre pièce. Etait-ce un vecteur indispensable de votre parole ?
J’ai fait le choix de représenter la réalité telle qu’elle est sur le plateau. Je n’ai pas modifié celle entendue dans la rue. Mais je me suis beaucoup interrogée sur comment il fallait faire pour que ce soit du théâtre, pour que ça ne soit pas revendicatif, moralisateur ou didactique. Deux choses me sont apparues assez clairement : la musique et la présence d’hommes. La musique peut être une manière d’amener de la poésie qui, à mon sens, est un élément indispensable au théâtre. Et la présence d’hommes est très importante pour décaler le propos, que ce ne soit pas un spectacle contre les hommes. Puis il y a l’humour qui est l’arme avec laquelle on peut tout dire. Par exemple : un acteur met une perruque et témoigne d’une agression dans le métro. Il rend audible cette situation-là. Si c’était moi qui disais ce texte, ça me poserait immédiatement en position de victime.

On énumère aussi les insultes qu’on peut entendre dans la rue et on en fait une chanson pop. J’ai aussi beaucoup lu sur l’étymologie des mots et on découvre que c’est absurde. "Salope" vient de "sale" et "huppe", un oiseau réputé pour sa saleté.

D’où vient ce titre ?
En fait il y a dans le spectacle une chanson que j’ai emprunté au Quartet Buccal, groupe féminin. Elle s’appelle Depuis l’aube. C’est un hymne au clitoris. Pour Ode aux clitoris, il y a plein de raisons : réhabiliter cet organe et rendre hommage aux quatre millions de fillettes excisées chaque année. Je tiens beaucoup au pluriel dans ce titre. C’est une façon de redonner la place aux femmes, qu’on arrête de cacher notre corps, et donc une partie de nous-mêmes.

Bien après votre travail, il y a eu l’affaire Weinstein puis l’Académie Française va féminiser des noms… Est-ce un avancement réel ou encore très timoré ?
Le mouvement #metoo a vraiment libéré la parole des femmes. Il y a une honte parfois à dire qu’on est agressée. D’un coup, tellement de femmes ont pris la parole que ça a aussi permis de ne pas se sentir seule avec son agression. Depuis que je joue ce spectacle, de nombreuses spectatrices ou des personnes avec qui je travaillais se sont "effondrées" car des choses ressurgissaient. À la fin du spectacle, les gens parlent.

Quant à la féminisation des mots il est temps. En primaire on nous apprend une règle de base : que le masculin l’emporte sur le féminin. On grandit avec ça. Je pense qu’inconsciemment cela nous conditionne. Féminiser les mots est très important. Je suis aussi une fervente défenseure de l’écriture inclusive, sinon on n’existe pas.

Cette affaire-là a-t-elle suscité un engouement des programmateurs pour votre thématique ?
Non. Pas du tout. Je pense que mon spectacle fait peur. On a une presse dithyrambique et un engouement de tous les types de public où que l’on joue, mais les programmateurs ne suivent pas, peut-être parce que je n’y vais pas par quatre chemins que c’est mon premier spectacle, qu’on ne me connait pas.

Depuis l'aube (Ode aux clitoris)
Au Théâtre de la Renaissance à Oullins du 9 au 11 mai

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