Danse / Maguy Marin reprend au Toboggan sa pièce choc et géniale, Umwelt. Soit une heure en apnée parmi des éclats de vie quotidienne, fragments sinistres ou lumineux en mouvement permanent.Jean-Emmanuel Denave
Au fond du plateau, une cinquantaine de grands miroirs souples rectangulaires sont disposés en quinconce, oscillant au gré d'une soufflerie au bruit sourd et obsédant. Au sein de ce labyrinthe ressemblant à un palais de glaces de fête foraine, neuf hommes et femmes (danseurs ou non danseurs) vont faire de très brèves apparitions, exécutant un geste ou une action, avant de disparaître aussitôt. L'ensemble de la pièce est «couvert» de lourdes nappes de guitare électrique composées par Denis Mariotte... Seuls, à deux, à trois ou à plus encore, les interprètes surgissent des interstices du dédale miroitant pour : manger une pomme, se pincer le nez, se recoiffer, allumer une clope, enfiler un bleu de travail ou une blouse blanche, porter une plante ou un bébé à bout de bras... Ils se battent aussi, s'enlacent voluptueusement, se poursuivent, courent sans but, s'immobilisent face au public, le regard un peu absent et lointain... Dans Umvelt il n'y a pas vraiment de mouvement dansé au sens commun du terme, mais la pièce est une fascinante machine chorégraphique faite de rythmes, de jeux de lumières et d'images reflétées, de refrains de couleurs et de ritournelles gestuelles. Au milieu du flux de la vie, dans la tourmente agitée de la mécanique quotidienne, Maguy Marin donne à voir et à éprouver des fragments de corps, des entre-deux, des milieux incertains, des éclats de sentiments, mais aussi tout simplement le pouvoir, la séduction, le travail, l'intimité, la trivialité. Umvelt est un grand miroir mouvant, où rien n'est définitivement figé ni perdu, où rien n'est jamais gagné non plus. Face au public
Ceux d'entre vous qui s'attendent à voir de la danse ou à être caressés dans le sens du poil (appelons-ça «se divertir») seront passablement déçus en assistant à Umwelt. En 2004, les réactions d'une partie du public furent particulièrement rudes, un spectateur allant jusqu'à monter sur scène pour brutaliser un interprète. Quelques temps plus tard, au Festival Montpellier Danse, un autre spectateur monte sur scène pour singer la pièce... Maguy Marin en sera profondément choquée, bouleversée même, et créera par la suite Ha ! Ha !, pièce caustique sur un monde contemporain vide, friand seulement d'humour, d'évasion comique et de blagues. Aujourd'hui encore, lorsqu'elle prend la parole en conférence de presse (pendant la Biennale de la danse 2008), la chorégraphe ne peut s'empêcher de fulminer contre «ces gens cultivés qui se comportent comme des consommateurs dans des marchés». On saluera donc ici le courage des programmateurs du Toboggan et de la compagnie reprenant, sur les lieux mêmes de la controverse, cette pièce. Celle-ci, en ce qui nous concerne, n'a toujours pas fini de nous fasciner !Umwelt
Au Toboggan de Décines, les 20 et 21 mars.