Classique et toujours aussi éclectique, bien calé sur ses valeurs sûres et placé cette année sous la protection d'Hugh Laurie, alias Dr House, Jazz à Vienne continue d'afficher une santé solide, sans forcer. À la coule, comme en témoigne sa programmation tout juste révélée. Stéphane Duchêne
Ne nous en cachons pas, c'est une édition rien que de très classique que nous offre cette année Jazz à Vienne. Toujours aussi bien campé sur les pattes de ce taureau-guitare qui est cette année son emblème. La preuve avec un début en fanfare et tous azimuts le 28 juin en présence de la Cie Transe Express et son impressionnant mobile – baptisé Mobile Homme – de percussionnistes suspendus, de Blitz the Ambassador et du bal Africain de Merlin Nyakam.
P-Funk
Ensuite en effet, place aux « habitués », aux amis, aux incontournables du festival, appelons-les comme on voudra, avec la rencontre au sommet entre Bobby Mc Ferrin et Chick Corea (29 juin), Joshua Redman en (featuring pour The Bad Plus le 10 juillet) ou Pat Metheny (4 juillet). C'est également un morceau d'histoire du jazz qui revivra lors de la soirée piano du 2 juillet puisque McCoy Tyner, pianiste historique du grand John Coltrane, officiera avec son habituel trio mais surtout avec comme invité spécial Ravi Coltrane, le fils de son père, saxophoniste par atavisme et prénommé ainsi en hommage à Ravi Shankar, dont Coltrane fut un grand admirateur. En ce 2 juillet, il y aura donc de la légende au mètre carré – en chair et en esprit.
On l'aura remarqué depuis le temps : comme tous les festivals de jazz, l'événement viennois dépasse de loin cette notion et, tout en en transcendant les frontières, s'organise autour des genres musicaux et de soirées thématiques, manière de se repérer facilement tout en ménageant des surprises. A commencer, le 1er juillet par le gospel, représenté par le sextet a capella de l'Alabama, Take 6, et le London Community Gospel Choir, connu notamment pour ses nombreuses collaborations avec des artistes pop (Blur, Gorillaz, Razorlight, Paul Mc Cartney, Madonna...)
Et puisqu'on parlait de grands noms, la soirée funk en sera farcie. Après la prestation co(s)mique (guitare et galure en forme d'étoiles, costume pailleté de rouge, de blanc ou d'argent) de Bootsy Collins l'an dernier, c'est cette fois son ancien complice George Clinton, l'inventeur, aujourd'hui légèrement cramé, du P-Funk, qui se (re)présente. Lequel présidera une scène sur laquelle on ne verra rien moins qu'Earth Wind & Fire, grands consommateurs en leurs temps de moules burnes et autres capes en « papier d'hallu », et l'immarcescible Fred Wesley, ancien de chez James Brown et Clinton lui-même, en général dans tous les bons coups des festivals (3 juillet).
Divines divas
Riches également les soirées Guitares et Afrique : la première, le 6 juillet, verra le guitariste de jazz fusion Al Di Meola croiser le fer avec le pianiste cubain Gonzalo Rubalcaba et Orlando Valle aka Maraca (inutile de préciser son instrument de prédilection), ainsi que les quartets de Biréli Lagrène, prince du jazz manouche, et du californien Larry Carlton (jazz fusion, smooth jazz). La seconde, le lendemain, mettra à l'honneur l'ancêtre Manu Dibango pour un voyage dans le temps (et l'espace) en compagnie de Passi, Cheick Tidiane Seck, Oum et Wayne Courtney Beckford. Le même soir Bela Fleck (à ne pas confondre avec Ben Affleck) et Oumou Sangare (avec le renfort de Fatoumata Diawara) matérialiseront la rencontre du banjo américain et de la musique malienne.
Ces deux dernières confirment d'ailleurs une règle non écrite qui dit qu'il n'est point d'événement jazz sans son lot de divas : qu'il s'agisse de la surprenante comédienne et chanteuse franco-camerounaise et musicalement transgenre Sandra Nkaké (en ouverture le 28 juin et en clôture le 13 juillet), de la suave Melody Gardot (11 juillet), de la sublime Erikah Badu (30 juin) ou de la grande Diane Reeves qui accompagnera une autre diva (de la batterie cette fois !) Terri Lynne Carrington, pour une prestation qui, le 10 juillet, devrait littéralement « envoyer le bois », comme dit Nikos. Attention, pour toutes ces dames à la concurrence de la bombe de Portland Esperanza Spalding, chanteuse et contrebassiste à se damner. Tout comme, parité oblige, sa version masculine, Avishaï Cohen et partagera la même scène le 8 juillet. Bien entendu, même s'il s'agit de jazz et nom d'électro branchée, on ne dérogera pas à la soirée French Touch, un joyeux fourre-tout de production française qui ira du Richard Galliano quartet (accompagné d'Eddy Louiss) à l'épatante troupe lyonnaise de Bigre ! (5 juillet)
Au rayon blues, la présence de Magic Slim & The Teardrops, Keb' Mo' et Awek (le 9 juillet), sera sans doute éclipsée comme, d'une certaine manière, tout le reste de la programmation par celle de Dr House himself. Non pas le titre ô combien inénarrable – et son clip tourné sous morphine, de l'avis même de l'intéressé – commis par Christophe Hondelatte. Mais Hugh Laurie himself, qui en plus d'incarner le célèbre médecin cyclothymique, est un fameux bluesman, à ce qu'on dit. Qui des amateurs de blues New Orleans, le thème de son dernier album, ou des fans du champion du monde de divination médicale apprécieront le plus sa venue, on ne le saura peut-être jamais. Mais on parie que le 12 juillet, l'événement fera recette. Tout comme un festival qui n'a plus depuis longtemps à faire ses preuves pour obtenir un diagnostic positif. Diagnostic, c'est d'ailleurs le titre de l'album que viendra présenter Ibrahim Maalouf en clôture du festival, le 13 juillet. Comme quoi la vie en jazz est bien faite.
Jazz à Vienne
Au Théâtre Antique de Vienne
Du 28 juin au 13 juillet