Cédric Van Styvendael : « On a toujours eu besoin de la culture pour anticiper des changements importants »

Politique culturelle / Maire de Villeurbanne et vice-président en charge de la culture à la Métropole de Lyon depuis 2020, Cédric Van Styvendael, évoque ici les projets à naitre que sont Les Grandes Locos (Nuits sonores 2024) et la Cité des arts du cirque, la réouverture du CCO, la nouvelle direction des Ateliers Frappaz et des Nuits de Fourvière, ses liens houleux avec la Région. Et surtout l’importance à ses yeux de faire de la place aux arts dans l’espace pour que les artistes aident « à faire la ville ». Une politique « plein vent » comme il dit.

La Métropole de Lyon est une entité particulière sur le territoire français, fusion, en 2015, du Grand Lyon et du département du Rhône. Ses compétences en matière de culture sont de fait un millefeuille : l’entretien des gros équipements tels que le musée des Confluences ou Lugdunum, le financement d’événements (Biennales, Journées du patrimoine, Nuits de Fourvière) et la formation (conservatoires et écoles de musique, danse, théâtre…). Comment en tirer des lignes claires en matière de politique culturelle ?

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Cédric Van Styvendael. Il ne s’agit pas de dire que c'est nous qui avons révolutionné les choses mais il y avait quand même une forme d'impensé de la politique culturelle de la Métropole jusqu'à il y a peu. Car initialement nous avions un statut de communauté de communes qui se mettaient d'accord sur un certain nombre de projets et de prérogatives qu'elles se partageaient. Et puis il y a eu les métropoles avec un certain nombre de compétences à elles, enfin il y a la Métropole de Lyon avec un statut très particulier, c’est la seule en France avec des élus élus au suffrage universel et une autonomie totale sur ses délégations.

Jusqu'à présent la culture était une sorte de variable d'ajustement et de répartition entre la Ville de Lyon et la Métropole sur un certain nombre de projets. Par exemple, si la Ville de Lyon ne pouvait pas en financer un, ça échouait à la métropole qui n’avait pas de commande pour avancer sur les questions culturelles. Du temps de Gérard Collomb, ce n'était pas du tout une attente de sa part que la métropole se positionne sur la culture ; elle finançait simplement des événements qui aujourd'hui font la joie des grands Lyonnais·es (festival Lumière, les Biennales, les Nuits de Fourvière et puis, après la fusion, le musée Lugdunum). Il ne s'agit pas de critiquer cela. Ce sont des choses qui ont été affectées à la Métropole dans un espèce de Yalta entre le Département, la Ville de Lyon et la Métropole. Il y a donc au départ cette forme de péché originel. Quand on arrive en fonction – et il n'y a pas de grand soir car David Kimelfeld [NDLR, président de la Métropole de 2017 à 2020] et Myriam Picot [son adjointe à la culture] avaient commencé un travail important en la matière - il y a eu la nécessité de dire quelle était la patte de la Métropole, quelle était sa légitimité en matière de politique culturelle et c’est pour ça, qu’avec un travail extrêmement important des services au préalable, on a mis en place une délibération-cadre pour dire quelles étaient nos intentions politiques.

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Elles avaient trois orientations. Un : la culture est un outil de lutte contre l'exclusion et ça permet de lutter contre les inégalités. Deux : la Métropole doit être aux côtés des filières car, comme on ne soutient pas la création, il faut qu'on soit aux côtés des acteurs pour qu'ils soient de plus en plus résistants face à un environnement pas toujours favorable – et j'ai dit ça avant qu'il y ait un arbitrage régional assez violent. Trois : puisque la Métropole est un outil très hybride et très jeune, elle doit participer à une forme de récit métropolitain et d'appartenance dans lequel des habitant·es qu’ils soient de Fontaines-sur-Saône, de Caluire, de Vaulx-en-Velin se sentent appartenir à cette histoire. Ce sont les trois axes qu'on a essayé de développer avec le principe de dire qu'on sanctuarisait les budgets – car il faut quand même parler d'argent – et que les évolutions financières qu’on réussirait à obtenir iraient plutôt dans cette direction-là plutôt que de venir soutenir des acteurs qui bénéficiaient déjà de soutiens financiers importants. Pour l'instant on a réussi à tenir cet engagement, c'est-à-dire qu'on n’a pas baissé les subventions à l'ensemble des plus gros acteurs que j'évoquais tout à l'heure et toutes les évolutions financières sont venues plutôt conforter cette dimension. On a par exemple multiplié par cinq le budget de l'EAC (éducation artistique et culturelle). Alors certes on partait de 90 000 € et on est maintenant à 500 000€ mais désormais il y a un maximum d’actions culturelles dans les collèges [NDLR, compétence de la Métropole] ; on a mis presque 700 000 € pour la structuration de la filière et on a multiplié par deux le budget de l'aide au spectacle vivant pour l'ensemble des villes de la Métropole via les conférences territoriales de maires (CTM) - avant il y avait 500 000 € pour 16 théâtres sur des critères plus ou moins bien objectivés.

 

Parmi les grands projets à venir, le plus emblématique est peut-être la CIAC, la Cité internationale des arts du cirque, porté notamment par la compagnie de Mathurin Bolze, MPTA. Objectif 2017. Est-ce que ce sera tenu ? Et surtout où en est le financement car, au printemps, vous aviez toujours une interrogation sur la participation de la Région.

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Oui ça s'est confirmé que je n'attends plus rien de la Région et pas seulement sur ce sujet-là. On est rentré en phase opérationnelle pour construire les premières briques de la Cité internationale des arts du cirque. L'argent n'étant pas là au total (20M€ attendus, nous en avons environ 14), il faut donc penser le projet en deux phases car, si les collectivités et l'Etat ne se désengagent pas, ils n'ont pas la capacité de se substituer à la Région. Il y aura besoin de monter un projet complémentaire pour venir finir l'équipement. Donc les équipes de Mathurin Bolze et celle de la Métropole sont en train de penser à un scénario phasé pour cette Cité Internationale du cirque. Tout est très bien engagé, leur programmation est finie, le terrain est identifié [NDLR : Le Puisoz à Vénissieux, à côté d’Ikea]. Je suis confiant. Ça va bien sûr moins vite que prévu mais, encore une fois ce n'est ni de la responsabilité de l'État qui a déclenché les lignes budgétaires pour sécuriser ce budget ni de nous car c'est rentré à la PPI (plan pluriannuel d’investissement) ; il n'y a aucun souci sur les montants.

On va se mobiliser avec la compagnie MPTA et l'Etat pour trouver des substituts à la Région mais ce n’est pas la Métropole qui mettra les 6M€ supplémentaires nécessaires seul. La Métropole considère qu'elle a déjà mis tout ce qu'elle pouvait mettre. C'est un projet phare pour nous et on pense véritablement que sur la question des arts du cirque, à la fois il y a une légitimité sur la Métropole avec ce que fait l'école de cirque de Ménival pour l'ensemble des pratiques amateurs et la réputation et le talent de la compagnie de Mathurin Bolze. C'est extrêmement important qu'on ait un lieu de formation, un lieu un rayonnement de cette esthétique. Et, on le partage avec Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe à la culture de la ville de Lyon, l’importance de la proximité avec les Ateliers de la danse qui va permettre d'avoir aussi une forme de complémentarité intéressante et complètement en phase avec ce que l'on veut faire dans la Métropole. On va continuer à être vigilant pour que ce projet sorte. En 2027, il y aura quelque chose mais je ne peux pas vous dire quoi précisément ; ce sont les équipes du projet qui réfléchissent à ce par quoi elles veulent commencer (lieu d'entraînement avec les hauteurs nécessaires…)

 

Le budget des Biennales en provenance de la Région a été amputé de 303 000€ en deux ans (sur 753 000€ en 2021). Comment la Métropole, premier financeur de ces évènements, peut palier à cela. Faut-il le faire ? 

C'est vrai qu'on a tenu cette ligne de ne pas se substituer à la Région. Bien sûr pour les acteurs c'est difficile car ça leur demande de trouver des économies, de baisser leur programmation, notamment en lien avec la Région donc c'est contre-productif. À chaque fois que Laurent Wauquiez met un coup de canif dans nos engagements respectifs, c'est la Région qu'il pénalise. Le Défilé de la Biennale l’a montré – j’espère qu’il l’a regardé sur France 3 – car il y avait des groupes de danseurs venus d’Annecy, Grenoble, Chambéry, de la Drôme, qu'on ne me dise pas que ce défilé n'est pas un défilé régional. Mais le président de la Région raconte tout à fait une autre histoire quand il dit que les coupes budgétaires servent à valoriser le reste du territoire. Il y a quelque chose de l'ordre de la fake news dans sa manière de communiquer sur son désengagement unilatéral sur les questions culturelles. C’est dramatique pour les acteurs car c'est une forme d'instrumentalisation des politiques culturelles au service de l'ambition d'un seul homme. Je trouve que c'est un jeu dangereux qui est en train de se mettre en place. Et au-delà de ça, j'ai entendu que la ministre de la Culture pouvait être amenée à mettre en comparaison la ville de Lyon et la Région [NDLR : le deux ont opéré des coupes budgétaires, notamment à l’encontre de l’Opéra]. Je crois que ce n'est pas possible que l'on vienne légitimer le fait qu'on instrumentalise la manière dont on verse de l'argent à des acteurs culturels qui le mériteraient et d'autres qui ne le mériteraient pas parce qu'on ne partage pas le même cortex de valeurs. J'entends qu'il y a des valeurs humanistes qui sont intangibles – on ne peut pas s'amuser à financer des acteurs culturels dont les valeurs sont en dehors de la République – mais, pour le reste, je crois que les élus n'ont pas à dire le bien et le mal, le beau et le pas beau et à ne pas faire jouer leur propre goût esthétique et leur culture personnelle dans leur choix politiques.

 

Et qu'en l'occurrence on ne peut pas renvoyer dos-à-dos la politique culturelle de la ville de Lyon et celle de la Région ?

Ça me semble vraiment être une forme d'escroquerie intellectuelle majeure de dire cela y compris en parlant de la suppression de 500 000 € à l'Opéra opéré par la ville de Lyon (sur 18 M€) et la Région (sur 2, 5M€). On ne peut pas mettre cela en regard. Ce n'est pas honnête. Par ailleurs, Laurent Wauquiez a eu une manœuvre, certes habile politiquement mais qui déstabilise complètement l'Opéra, en enlevant donc 500 000€ en 2022 mais en remettant 190 000€ dernièrement si l’Opéra fait exactement ce qu’il demande [NDLR ; un projet d’itinérance en Région avec une création par saison commandée à un jeune compositeur]. On va avoir face à nous des institutions qui sont complètement déséquilibrées. C’est ce qui est le plus dangereux dans ce que fait Wauquiez : mettre des institutions culturelles, qui ont plutôt vocation à faire du lien, à faire société, à faire nation même au sens noble du terme, au service de son projet politique en traitant en bilatéral avec chacune des collectivités. C'est une vraie rupture dans le fonctionnement, ça met tout le monde en tension y compris avec des phénomènes de peur qui sont pour moi exactement l'inverse de ce qu'il faut faire pour soutenir la création.

 

Aux Nuits de Fourvière, une nouvelle direction – assurée par Emmanuelle Durand et Vincent Anglade – est en place depuis le printemps. Quels changements va-t-elle apporter ?

Il y avait une espèce de fantasme sur le montage économique des Nuits de Fourvière avec un certain nombre de critiques, y compris dans notre propre majorité, se demandant à quoi ça sert de mettre 3M€ dans un festival qui continue à vendre des places à 50 balles. Bon il se trouve que l'analyse financière donne à voir que c'est l'un des festivals les plus sobres en financement public en France sur les festivals de cette taille-là donc il faut parfois savoir être objectif dans la manière de soutenir des événements.

On a vu aussi que cet argent public était davantage utilisé pour les autres productions que celles de la musique, secteur qui a une capacité à générer sa propre économie. Cette subvention permet de financer le cirque par exemple au parc de Lacroix-Laval, du théâtre, des œuvres qui ont moins de capacité d'attraction et moins de visibilité. Il appartiendra à Vincent et Emmanuelle de nous dire comment est-ce qu'ils souhaitent continuer, quelles sont les nouvelles coproductions qu'ils ont envie de monter. Et c'est vrai que nous pourrions avoir envie de leur dire que, bien sûr c'est intéressant d'avoir des coproductions à l'échelle nationale avec des artistes qui fonctionnent en dehors de l'agglomération, mais ça n'interdit pas non plus de favoriser des coproductions, comme le faisait Dominique Delorme, avec des institutions locales – TNP, Opéra, Célestins...

Dans des moments de raréfaction de l'argent public, il y a quand même besoin de vérifier que nos propres événements sont favorables à l'écosystème local sans être exclusif sans se replier sur nous-mêmes et ne faire des choses seulement entre Lyonnais. Le deuxième axe concerne l’éducation artistique et culturelle. Il y avait un très beau projet déjà, l’Académie des Nuits, puisque le festival accueillait deux classes de collège mais on trouve que le volume d'enfants concernés est peut-être en deçà de ce qu'on pourrait attendre. J'espère que Vincent et Emmanuelle vont nous proposer des choses dans cette direction-là.

 

Autre grand projet à venir : Les Grandes Locos ouvrent à La Mulatière en mai pour les Days des prochaines Nuits sonores. À quoi cela va ressembler ? Et qu’est-ce que cette recyclerie culturelle que vous installez ?

Les Grandes Locos c'est la bonne surprise de ce mandat y compris pour le VP culture que je suis car ça vient plus que doubler le budget investissement en matière de culture. Initialement on avait 7M€ sur la Cité Internationale des arts du cirque, 1M€ sur la bibliothèque numérique et quelques millions (car ça ce n'est pas encore stabilisé) sur la refonte du parcours permanent du musée Lugdunum, les études sont lancées et ça fait partie de nos orientations. Concernant Les Grandes Locos, le président Bruno Bernard avait la volonté d'avoir un lieu symbolique métropolitain dédié à la culture. Je suis très heureux de cette issue positive car la sortie de Fagor a été un peu brutale [NDLR, Bruno Bernard avait annoncé sans concertation que Fagor deviendrait un entrepôt TCL]. Mais la Métropole a tenu ses engagements et on est face à des acteurs qui ont qui ont eu l'intelligence de se dire que ça fait partie des cycles que d'avoir des changements de cette nature.

On connaît Vincent Carry pour sa capacité à nous taper dessus quand c'est nécessaire et quand il dit qu'on a été au rendez-vous et qu'on a fait ça dans les délais, je le reçois comme un satisfecit sur notre capacité à faire. On ne l'a pas fait dans notre coin tout seul et c'est aussi pour ça qu'à un moment donné Laurent Bayle nous a rejoint comme président des Biennales. Quand il dit qu'il était allé mettre la Philharmonie aux confins de Paris et que personne n'y croyait, ça nous parle un peu. C'est une partie extrêmement importante qui commence dès l'année prochaine. Je suis aussi très heureux du lien qui pourrait se créer aussi à terme avec le Ninkasi. Il y a une espèce de corridor naturel entre le métro et Les Grandes Locos qui crée une évidence de lien.

C’est en train de préfigurer sur cette partie de l'agglomération qui n'était pas énormément pourvue même si, bien sûr, il y avait le théâtre de la Renaissance et que ce n'était pas un désert culturel mais ça vient compléter une offre en matière culturelle qui est extrêmement intéressante. Tout est en possible devant nous. Il y aura donc Nuits sonores, le Lyon Street food festival et les Biennales mais si on a investi 17M€ ce n’est évidemment pas pour seulement trois événements. Donc on est en train de recueillir des envies des uns et des autres et on va voir comment on peut enrichir cette programmation. Ce qui est aussi intéressant, c’est que cela se met en place après un premier projet culturel, celui de la recyclerie avec un lieu de stockage de costumes. Ça va être un lieu extrêmement important pour la structuration des filières car ce sera un lieu de ré-emploi, de recyclage mais aussi où les acteurs culturels pourront travailler, se retrouver pour monter les ateliers. Ce sera livré avant la fin du mandat [NDLR : et la passerelle mode doux entre Gerland et La Saulaie est prévue pour 2028].

 

Pour le Ninkasi, il s'agit d'un financement ?

Non pour l'instant les seules choses qui sont en discussion avec eux c'est sur notre appel d'offre d’investissement partagé puisqu'ils ont la vocation, notamment avec le Ninkasi Musik Lab, de se mettre à disposition d'autres acteurs culturels et ça peut nous permettre de les accompagner. On leur a demandé aussi un point d’étape sur là où ils en étaient par rapport à notre volonté de faire monter en puissance la programmation du lieu. Ils auront une programmation événementielle avant l’été, ce sera une préfiguration dans une des halles de La Saulaie. Et on pourrait presque là être dans une espèce de before des Nuits Sonores. On va continuer à discuter avec eux mais j'ai pas non plus d'argent public magique, notamment sur le fonctionnement mais on regarde très très attentivement ce qu'ils sont en train de faire car, pour nous, il y a une cohérence physique tout simplement avec eux. Quand on regarde le schéma d'implantation, on est vraiment sur une espèce d'allée qui va du métro jusqu'aux installations des Grandes Locos en passant donc par leur site de La Saulaie à Oullins ; il y a quelque chose à jouer là-dessus.

 

Pendant la canicule, fin août, le musée des Confluences et Lugdunum ont été gratuits quelques jours. Le premier a vu sa fréquentation multipliée par 2 et demi, le 2e a connu 130% d’augmentation. Est-ce que la gratuité est envisageable de façon permanente ?

Ce n’est pas l'ordre du jour. Si on doit renouveler des opérations de gratuité, il faudra qu’on anticipe davantage car on a mis les équipes du musée en tension notamment au musée des Confluence qui a eu une affluence telle qu’il a doublé sa fréquentation. Et, par ailleurs, dans ce musée, le cristal n'est pas climatisé – seules les salles le sont – donc on a eu les effets d'attente qui n'était pas très agréables. Pour autant, la position de la Métropole aujourd'hui ne va pas faire la gratuité pour toutes et tous (en tout cas pas tant que ce musée sera porté à hauteur de 14 M€ par la Métropole) mais plutôt vers celles et ceux qui en ont besoin. On est sur une réflexion tarifaire sur laquelle on va revenir avant la fin de l'année devant le conseil métropolitain. Si d'autres acteurs veulent nous rejoindre et veulent réfléchir au financement public du musée, on verra mais, à l'état actuel, ce n'est pas possible dans la maquette économique de ce musée tel que ça a été conçu.

 

La lecture publique (pour les villes de moins de 12 000 habitant·es) est une de vos compétences obligatoires héritées du Département. Comment s’articule votre politique ?

Ce n’est pas quelque chose sur lequel on communique beaucoup alors que ce sont des budgets significatifs pour nous. On a favorisé le développement des bibliothèques intercommunales à la demande des CTM. On a aussi engagé des études pour un chantier de bibliothèque numérique métropolitaine à hauteur de 1M€ et on a budgété le fonctionnement pour se doter cette bibliothèque numérique avant la fin du mandat. Le lancement est prévu en 2025. Ce sera une ressource mutualisée que ce soit pour la lecture ou d'autres types de médias. Et puis, enfin, et ça peut paraître anecdotique mais pour nous c'est important, on a revu notre partenariat avec la prison de Corbas pour pouvoir proposer des bibliothécaires et des ressources de lecture dans les différents blocs de la prison.

 

Côté Villeurbanne, quel bilan tirer de cette année de Capitale française de la culture 2022 ? Qu’en reste-t-il de pérenne ? Les minimixes, coordination dans les écoles pour l’EAC ?

On transforme peu à peu les bibliothèques - centres de documentation en minimix. À chaque fois c'est 150 000 € de travaux et on le fait pour trois d’entre eux cette année. Il faut qu'ils soient conformes à ce que les acteurs culturels et le corps enseignant souhaitent. On a déjà recruté neuf médiateurs – ce sont des médiatrices – rattachées au réseau de lecture publique. On a aujourd'hui 18 groupes scolaires couverts et, d'ici la fin du mandat, on aura des minimixes dans toutes les écoles. C'est un élément extrêmement structurant. Les équipes enseignantes, qui au départ pouvaient avoir l'impression que c'était un gadget, nous font de très bons retours là-dessus et ça nous a permis d’obtenir le label 100 % EAC pour la ville de Villeurbanne.

Le festival des fanfares continue car il avait vraiment rencontré son public. On a renoué aussi avec la tradition de la Fête de la musique et on va voir si on est capable de continuer - la contrainte aujourd'hui est que l'on passe plus de budget de sécu qu'autre chose sur ce type d'événement et ça nous désole. On ne sait pas encore si on sera capable de le faire chaque année mais on a bien envie de le garder. On a aussi mis un accent important sur le soutien aux pratiques amateur et je crois que cette attribution de Capitale française de la Culture a aussi déclenché la capacité des acteurs de Villeurbanne à être en lien avec la Métropole et ça, ça n'a pas de prix.

Par exemple, Tiago Guedes programme des spectacles dans la ville de Villeurbanne pendant la Biennale en plein air, dans la rue [NDLR avec le travail du chorégraphe Alessandro Sciaroni, Save the last dance for me, place Lazare-Gonjon]. Et enfin nous réfléchissons à la création d'une scène jeunesse, pas un nouvel équipement mais une programmation jeunesse sur l'ensemble des équipements de Villeurbanne pour la saison 2024-25. Au final, cette année de capitale française a quand même fait bouger beaucoup de choses dans notre ville.

 

Cette programmation jeunesse est liée au Festival du livre jeunesse ? 

Ah non c'est plutôt une idée qui vient d’Emmanuelle Magdalena, directrice de l’action et du développement culturel de la ville jusqu’à il y a peu, elle a porté cette idée-là sur laquelle Simon Meyer, le nouveau directeur des affaires culturelles de la ville, a complètement rebondi. Bien sûr la Fête du livre jeunesse est comprise dans ce projet mais il y aura aussi beaucoup de spectacles vivants et toutes les esthétiques (musique, théâtre, cirque…) qui seraient programmés dans divers lieux de la ville dehors, dedans. Et on voudrait avoir l'équivalent d'un label ou d'une scène nationale jeunesse. Ce sont des discussions en cours avec la DRAC qui reste très prudente mais je ne me désespère pas car nos liens sont bons et la ministre sait aussi quelles sont mes intentions à ce sujet. J’espère qu'on va pouvoir avancer dans cette direction et puis, au pire, si on n’a pas de label national, on fera notre affaire. À la Métropole on est passé à 1M€ en soutien à la diffusion au spectacle vivant qui est divisé en deux parties : 300 000€ pour Lyon et Villeurbanne et 700 000€ pour les CTM (conférence territoriale des maires). Si on avait fait une répartition au nombre d'habitant·es, ça aurait été divisé en deux fois 500 000€ et ça ne faisait pas un effet levier intéressant. Pour autant, pour Villeurbanne, le bénéfice de cela est de nous permettre d'avoir 100 000€ de la Métropole fléchés sur le soutien à la diffusion du spectacle vivant car jusque-là tout était fléché pour le TNP.

 

Diriez-vous que cette année Capitale de la culture a été un booster pour Villeurbanne dans la foulée du Covid, au moment où vous la preniez en main ? 

Je ne regrette rien. Les gens ont le droit de critiquer mes choix, de trouver que Royal de Luxe c'était peut-être trop d'argent public, ils ont le droit de ne pas être satisfaits d'une partie de la programmation mais je considère que dans ce qu'on a fait, on est allé rejoindre un maximum de mondes possibles sur des esthétiques extrêmement différentes. Dans notre dernière enquête d'opinion, ce n'est pas neutre que plus de 90 % des Villeurbannais se disent satisfaits de cette année de capitale culturelle même si, quand on creuse, ils disent que ça coûte trop d’argent mais c'est bien normal car la question financière aujourd'hui est tellement prégnante en période d'inflation et d'augmentation de coût d'énergie que ce serait surréaliste que les gens ne nous parlent pas d'argent. Ce que je vois c'est que ça n'a pas influé sur le niveau de satisfaction des Villeurbannais·es. Il faut regarder le tout : les pratiques amateur, l'accès à la culture car 90 % de ce qu'on a proposé était gratuit à part Ariane Mnouchkine au TNP. Oui il y a eu à un moment une mobilisation d'argent public importante mais c'est ponctuel. Ça a été un accélérateur.

Tout ne m'a pas plu mais on s'en fiche de ce plait ou pas au maire. Ce que j'ai vu ça a été un booster en termes d'énergie et de fierté pour les habitant·es et, dans un moment où il faut où il faut conduire des politiques publiques qui ne sont pas très sympas, qui sont plutôt à rebours de ce qu'on a envie intuitivement de faire en matière de déplacements, consommation d'énergie, je pense que ça a été un moment très fort pour notre ville. Je l'avais abordé de façon très tranquille en répondant à un auditeur qui posait une question au 13H de France Inter en direct de Villeurbanne en septembre dernier. J'avais dit que pour moi la culture est un investissement. Vous avez le droit de penser que je me trompe mais j'ai le droit de penser que, quand je dépense de l'argent en matière de culture, j'investis pour l'avenir et, même si encore une fois on doit être très prudent sur cet argent qui se raréfie et par les effets de captation par des obligations externes comme l'augmentation du coût de l'énergie ou autres.

On va plutôt vers des lendemains difficiles. À Villeurbanne, nos prévisions budgétaires ne sont pas super sympas mais, s'il y a un endroit où il faut essayer de tenir, c'est celui de la culture car, si on se dit que la culture est la variable d'ajustement en période de crise, on va vers des demains sombres.

 

Des lendemains difficiles en terme d'impôts ?

Ça fait partie des discussions politiques en cours mais ça fait partie des leviers qu'on a dans notre main et qu’on n'a pas mobilisé en 2023. Je n'exclus pas de le faire pour 2024.

 

La culture dans l'espace public est dans l'ADN de Villeurbanne. Il y a les Ateliers Frappaz et son festival des Invites et puis aussi le CCO qui ouvre en octobre dans le nouveau quartier de l'Autre soie, la Fête du livre jeunesse... En janvier, pour la première fois en France, un centre national des arts de la rue - Frappaz donc - sera dirigé par une femme artiste, Nadège Prugnard. Pourquoi elle ? 

D'abord parce que c'était la meilleure et qu'elle a fait l'unanimité au jury. Ce n’est pas souvent et c'est plutôt un élément extrêmement intéressant. C'est vrai qu'elle a réussi à nous convaincre que la dimension artistique qui était la sienne pouvait amener des nouvelles ambitions pour les Ateliers Frappaz. Ce n'est pas un exercice facile de passer après Patrice Papelard qui a marqué de sa patte ce lieu. Tout le monde fait comme si c'était une évidence mais au départ, il a juste pris un lieu qui n'était pas encore labellisé et il a réussi, avec le soutien de mon prédécesseur Jean-Paul Bret, a en faire un CNAREP (NDLR : centre national des arts de la rue et de l’espace public, label national accordé à 13 lieux en France). Il y a eu un énorme travail de légitimation alors que pendant très longtemps on a considéré que les arts de la rue étaient presque une sous-culture, quelque chose d'un peu cheap. Le donner aujourd'hui à une artiste qui a une réputation nationale et internationale, c'est aussi une manière de donner à voir la valorisation de ce type de pratique culturelle, sa reconnaissance. J'attends beaucoup de son projet.

On souhaite aussi que cette pratique culturelle, qui a vocation à aller à la rencontre de tout le monde sur l’espace public, trouve aussi le moyen de rejoindre celles et ceux qui pensent que ce n'est pas pour eux, que c'est, sinon trop complexe, du moins pas assez abordable. On n'avait pas encore complètement réussi cela car à un moment les Invites ont essayé d'aller rayonner dans tous les quartiers mais, pour des questions économiques et pour des questions de ressources humaines, on était revenu sur le centre avec un public pas complètement en phase avec la diversité de notre ville. On avait réussi un super coup grâce à une intuition géniale de Bernard Sevaux [NDLR, directeur de la culture à Villeurbanne récemment parti à la retraite] en installant une grande roue devant l'Hôtel de ville pour faire venir un public très populaire qui faisait un tour de grande roue et ensuite découvrait les artistes sur l'espace public avec qui il n'aurait pas été forcément en contact sinon. Pour moi c'est ça cette culture de "plein vent ", un mouvement permanent entre le dedans et le dehors, entre la centralité et les externalités. J'attends de Nadège Prugnard qu'elle nous fasse des propositions dans cette direction-là. Il y a une édition des Invites en 2024 qui, un peu comme la Biennale de la danse, est le résultat de ce que Patrice Papelard aura pensé et de ce que Nadège pourra amener. Et ensuite il y aura une édition 2026 à préparer qui sera certainement renouvelée non pas dans la défiance mais pour être en phase avec ce qu'attendent les Villeurbannais·es.

Mais je veux revenir sur votre question de l'art dans l'espace public qui me semble extrêmement importante. Je pense que les acteurs culturels aujourd'hui ont une responsabilité en la matière, celle de faire la ville de demain. Ça fait partie des choses sur lesquelles je suis en train de les interpeller en leur disant qu'il faut nous aider à faire Métropole, faire un récit d'appartenance. On a une histoire commune, on n'est pas pareils mais on vit des choses ensemble et la question de l'émotion ressentie peut être le moyen de mettre des mots sur cela. Mais ça va au-delà de ça. La culture aujourd'hui a une capacité à nous dire comment on va faire la ville demain, de quoi on a besoin. Je crois beaucoup à ça. On verra si avec Les Grandes Locos on arrive à amener cette dimension mais, pour des acteurs qui ont l'habitude de l'espace public comme Frappaz ou le CCO, on a aussi quelque chose à travailler dans cette direction.

Les artistes ont quelque chose à nous dire sur comment on va vivre demain, notamment dans les métropoles, qu'est-ce que c'est que de partager l'espace public, qu'est-ce que c'est qu'une sobriété qui peut générer de l'émotion positive et pas simplement de la contrariété car ça modifie notre quotidien sur nos déplacements, notre consommation énergétique. Je crois qu'on a besoin d'eux pour passer ses caps. On a toujours eu besoin de la culture pour anticiper des changements importants. La commissaire de la prochaine Biennale d'art contemporain a pris pour thème l'hospitalité. Quel beau projet que de se dire comment est-ce que la culture nous aide à penser une métropole hospitalière quand tout le monde nous inciterait plutôt à fermer les frontières et à se protéger de l'extérieur. Ça fait partie des choses qui m'intéressent politiquement.

Quant au quartier de L'Autre soie c'est un démonstrateur. C'est une utopie réalisée – enfin c'est à l'Histoire de le dire mais on s'est projeté là-dessus en se demandant ce qu’est une ville dans laquelle l'hospitalité se traduit aussi par une offre culturelle qui favorise la création de ce lien. Dans la réflexion politique qui est la mienne, c'est un fil rouge mais j'aimerais que ce ne soit pas réservé à L'Autre soie et à Villeurbanne. Je sens que ça arrive. Il y a plein de signaux positifs. Autant je suis pessimiste sur l'avenir du monde, autant, dans un temps un peu plus court, il me semble qu'il y a encore des énergies qu'il faut mobiliser qui peut-être permettront, sinon de passer le cap, du moins d'inventer des solutions.

 

Ce qui était au cœur de votre projet de Capitale Française de la Culture était la jeunesse, c'est aussi au cœur de la politique de Rima Abdul Malak au ministère de la Culture. Est-ce que vous vous sentez proche de la ministre qui n'est pas du tout de votre bord politique ?

Oui oui jusqu'à présent mais je vous avoue et c'est facile pour moi parce que je suis maire de Villeurbanne et vice-président de la Métropole et qu’elle ne m'a pas attaqué personnellement. J'ai été très surpris par sa sortie récente sur France Culture où elle attaque un peu gratuitement le maire de Lyon sur ses choix culturels, d'autant que je n’ai pas l'impression que ce soit une tendance massive de la part des acteurs culturels de critiquer l'action du maire de Lyon et de son adjointe. J’aimerais bien que la ministre de la Culture continue à être ministre de la Culture et qu'elle ne prenne pas le risque de se positionner comme sous-lieutenant du président de la République sur des objets bassement politiques. Je crois que la culture mérite bien mieux que cela et que la ministre a tellement les compétences pour faire bien mieux que cela j'en serai déçu. Disons que c'est un petit moment de tension particulière mais j'aimerais bien qu'on ne rentre pas là-dedans car je crois que ce territoire, et je le dis sur d'autres sujets, a toujours réussi à dépasser les clivages partisans quand les enjeux étaient forts, notamment les enjeux d'hospitalité.

On sent parfois un Etat qui pourrait avoir envie de faire passer des messages de façon un peu unilatérale à notre territoire et ce n'est pas possible de décider seul sur ce territoire métropolitain qui a l'habitude de travailler ensemble quand les valeurs qu'il partage l'y obligent ; ces valeurs sont celles de l'humanité, de la culture pour toutes et tous.

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