Germi, auteur grinçant

Le Voyage en Italie de l’Institut Lumière touche à sa fin, mais sa dernière étape est capitale : la redécouverte d’un grand maître de la comédie italienne, acide et virtuose, Pietro Germi. Christophe Chabert

Il aura participé de manière décisive à l’âge d’or de la comédie italienne, mais n’en aura pas tiré la même gloire que Risi, Monicelli ou Scola, et pour cause… Pietro Germi meurt dix ans après la sortie de son chef-d’œuvre, Signore e signori, Palme d’or cannoise en 1964. Le film a été tourné dans la foulée d’une autre réalisation fracassante de Germi, Séduite et abandonnée, et tous deux sont scénarisés par les incontournables Age et Scarpelli, qui ont contribué à débrider le style du cinéaste. Il suffit de regarder Divorce à l’italienne, tourné en 1961, pour voir à quel point Germi y est encore marqué par un certain classicisme, même s’il se saisit déjà de toutes les occasions pour le déborder — ainsi des scènes où Fefe fantasme l’assassinat de son épouse… Divorce à l’italienne se paie le luxe de mettre en abyme cette secousse de modernité qui agite autant la société que le cinéma italien des années 60. Alors que le mari incarné par Mastroianni échafaude un plan complexe pour pousser sa femme à l’infidélité, la petite ville sicilienne de ce fils d’aristocrate est mise sens dessus dessous par la projection de La Dolce vita de Fellini ! Avec une modestie assez étonnante, Germi confesse que son cinéma a un léger de retard sur l’époque. Mais on peut aussi lire cela comme la preuve ultime d’une grande qualité : son cinéma est en prise directe avec les mœurs de son pays, ou plus exactement avec les régions qui la composent et construisent son identité (plurielle).

L’honneur est sauf

Si Séduite et abandonnée revient vers la Sicile pauvre et ses coutumes ancestrales dans une charge dévastatrice contre la patriarcat, Signore e signori se déroule en Vénétie, et s’attache à croquer avec férocité la lâcheté des notables et les dérives des institutions italiennes. C’est d’abord la construction du film, d’une audace inouïe, qui sidère : tout commence par une fête mondaine où Germi installe une quinzaine de personnages, tous mauvais coucheurs, cocus ou obsédés sexuels, portrait de groupe qui se termine en entonnoir autour d’une pitoyable histoire de fausse impuissance. Puis le film semble repartir vers une autre direction, plus amère, où un mari tente de quitter sa femme pour vivre une grande histoire d’amour avec une fille plus jeune que lui. Le groupe devient l’arrière-plan du film, jouant un rôle décisif dans cette comédie de l’enfermement social. Il faudra attendre la dernière partie, fabuleuse, pour comprendre où Germi veut en venir, bouclant son récit avec une logique implacable et une ironie grinçante : les apparences sont sauves, les ordures ne sont pas punies mais reconduites dans leur bassesse. Un constat que Germi envoie à la face d’une Italie conservatrice et corrompue dans un bras d’honneur hilare.

«Signore e signori» et «Divorce à l’italienne»
À l’Institut Lumière, jusqu’au dimanche 11 juillet.

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