Séduisant et sans suite

Théâtre / Avec El Don Juan, Omar Porras déploie son habituel folklore baroque, visuellement impressionnant et narrativement stérile. Christophe Chabert

Étrange démarche que celle d'Omar Porras... Dans le fond, il est difficile d'en imaginer de plus contemporaines : à chaque pièce, Porras s'attache à travailler un récit qui a déjà beaucoup servi et qu'il essaye de régénérer en y greffant son esthétique. Qu'on qualifiera, pour aller vite, de baroque : comédiens grimés qui n'hésitent pas à outrer leur jeu dans des costumes trop larges, circulant dans des décors et accessoires surchargés de détails, évoluant devant un cyclo aux couleurs vives... Il y a un style Porras, reconnaissable entre mille, et ce Don Juan-là n'échappe pas à la règle : plein d'images fulgurantes, d'inventions scéniques, de trucages majestueux (attention à l'arrivée du fantôme à la fin !), de musiques et de grimaces, de débordements et d'excès. Un carnaval qui présente généreusement au public une certaine idée du théâtre sud-américain, qu'il croise avec les codes de représentation européens, créant une tour de Babel dont le moins que l'on puisse dire est qu'Omar Porras en possède l'implacable maîtrise.Vaine résurrectionMais cette virtuosité-là a son revers immédiat : elle congèle sur place l'émotion à force de vouloir en ranimer le foyer. Car les tableaux de Porras ressemblent à des monades possédant leur vie propre sur le plateau (les transitions, souvent habiles pourtant, finissent par n'être qu'un artifice supplémentaire au service d'une technique omniprésente). Ici, l'histoire de Don Juan est traitée comme une juxtaposition de scènes déjà connues, avec un début, une fin, mais guère de milieu, et dans lesquelles ce n'est pas le sens qui intéresse le metteur en scène, mais la possibilité de les plier à son système formel. Le besoin compulsif de possession auquel Don Juan est sujet est réduit à l'état de caprice volage d'un éternel adolescent qui recherche le divertissement à tout prix, et les enjeux tragiques sont vite noyés sous la farce bouffonne. Rien d'étonnant dès lors si le vrai personnage central du spectacle n'est pas Don Juan lui-même, mais son compagnon Sganarello joué par Porras lui-même, qui redouble ainsi la distance ironique induite par la mise en scène. En se propulsant comme l'organisateur ludique des séquences, il vient en souligner l'arbitraire ; et en laissant à l'arrière la vraie figure du mythe, il avoue sans le vouloir son peu d'intérêt pour lui. Car si ce théâtre-là se veut iconoclaste, il lui manque de respecter au départ les images qu'il malmène ensuite. La comparaison est certes toujours cruelle, mais TG Stan brutalisant Molière tout en rappelant son indiscutable actualité, évitait ce formalisme dans lequel Porras s'enferme à plus d'une reprise. Car eux, en plus d'avoir des choses à montrer, ont de toute évidence des choses à dire...El Don JuanAu Théâtre de la Croix-RousseJusqu'au 21 mai

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