Conte défait

Expo / Trois expositions d'envergure au MAC : une imposante rétrospective Bettina Rheims, un parcours d'installations de Kader Attia et une œuvre monumentale de John Baldessari. Contre toute attente, c'est ce dernier qui accroche le plus les yeux ! Jean-Emmanuel Denave

Bettina Rheims (née 1952) est une photographe mal aimée du sérail artistique, toujours le cul entre deux chaises, entre la mode et l'art. L'artiste, elle, ne fait pas de différence entre son travail de commande et son travail personnel, et d'une certaine manière nous non plus : nous pensons en effet que Bettina Rheims est une très grande photographe commerciale, rien de plus. La rétrospective qui lui est consacrée rassemble 150 grandes images et donne un aperçu de l'ensemble des séries de portraits (d'anonymes ou de célébrités) qu'elle a réalisées depuis le début de carrière en 1978 (de Female Trouble à Héroïnes, en passant par ses portraits d'aveugles, d'adolescents androgynes, de transsexuels...). La grande majorité des portraits représente des femmes nues ou presque, et pas des plus moches : Asia Argento, Traci Lords, Madonna et toute une flopée d'affriolants mannequins inconnus... Dès ses premières images noir et blanc d'acrobates ou d'actrices (Deneuve, Charlotte Rampling), au début des années 1980, tout Bettina Rheims est là : l'influence manifeste d'Helmut Newton (dont elle a été l'assistante), l'utilisation du grand format, les poses crânes et statuaires, l'érotisme glacial, le maquillage, les regards cassants, les mises en scène au cordeau et cette maîtrise de l'image déjà un peu assommante. L'utilisation virtuose de la couleur depuis une quinzaine d'années ne change rien à cette impression générale de photographie à l'hélium où tout est gonflé, outré, trop beau, "énaurme", mais finit par faire "pschiit" comme dirait l'autre (dont la photographe a d'ailleurs réalisé le portrait présidentiel officiel en 1995). C'est impressionnant au premier regard mais ça lasse vite, et surtout ça ne tient pas du tout au second. La fameuse série prétendument provocatrice sur la vie du Christ (INRI) est seulement kitsch, certaines Héroïnes ont des extases de magazines féminins, les Modern Lovers sont bien beaux et bien ennuyeux, les regards des modèles d'autres séries sont parfois aussi vivants que ceux des animaux empaillés photographiés en 1981... Une expo à feuilleter rapidement donc.Exposition précoceMontons d'un cran artistique et d'un étage avec la première exposition monographique de Kader Attia, jeune artiste âgé de 36 ans, issu de Sarcelles et des banlieues cosmopolites de Seine Saint-Denis. Kader Attia est notamment l'auteur d'une des pièces les plus impressionnantes de la dernière Biennale d'art contemporain 2005 : Flying Rats, immense volière où d'énormes pigeons voraces étaient enfermés avec de jeunes enfants composés en graines de céréales ! De manière générale, l'univers de Kader Attia procède par chocs visuels et s'appuie sur la biographie de l'artiste, sa double culture, son sens de l'observation et de la critique acerbe. Bref, ça grince, c'est efficace, ça fait du bien là où ça fait mal. Comme il l'indique dans l'interview (ci-dessous), son exposition au MAC a été pensée comme un conte de fée à l'envers, déboulonnant au fil de son parcours les fantasmes et les rêves projetés sur le monde occidental, mais aussi les différences identitaires et communautaires... D'où dans l'ordre : une ville funèbre et géométrique dessinée sur un mur ; une installation où un Dj pendu à une boule à facette, un derviche tourneur et trois danseurs hip-hop tournent tous sur eux-mêmes sur une boucle musicale répétant le mot " God " ; une cité tristounette reconstituée à partir de 150 réfrigérateurs (Fridges) ; une grande salle pleine d'araignées (des baleines de parapluie) et dont les ouvertures ont été transformées en fenêtres de style mauresque (moucharabiehs) avec des croisillons composés de menottes... Cette exposition, bourrée de bonnes idées, a malheureusement un arrière-goût de vite fait et de manque de finitions : Fridges ressemble tout de même plus à un dépôt de frigos d'occasion qu'à une ville, les baleines de parapluie restent à nos yeux des baleines de parapluie... Avec les oreillesÀ l'occasion des expositions Bettina Rheims et Kader Attia, le MAC présente une œuvre monumentale de John Baldessari appartenant à ses collections. Et là surprise ! l'artiste californien, né en 1931, vole la vedette aux deux autres. Composition for Violin and voices (Male) est une immense installation où sur les quatre murs du dernier étage du musée sont accrochés : une photo de violon et celle d'un archer surdimensionnés, ainsi que 43 photogrammes extraits de films. Tous ces photogrammes représentent des visages d'acteurs exprimant les sentiments les plus divers : de la joie à l'angoisse, en passant par l'hilarité, l'impassibilité... Le tout évoque une sorte d'énorme partition visuelle où les images forment entre elles des accords, des contrepoints, des couacs, des rythmes très différents... Et l'on ne se lasse pas de composer en déambulant dans la pièce (musicale et spatiale) notre propre mélodie intérieure. Grand manitou de la décomposition des codes picturaux, photographiques ou cinématographiques, Baldessari ne cesse, dans ses œuvres, de décomposer les images pour les recomposer autrement, y insuffler du jeu et de la liberté, les télescoper, creuser des failles dans nos modes de représentation. Ici, tout est faux (fiction du photogramme, expressions jouées des acteurs, faux raccords entre les images), mais l'ensemble "musical" sonne formidablement juste.Bettina Rheims, Kader Attia et John Baldessari Au Musée d'art contemporain Jusqu'au 13 août

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