Che

Cinéma / Cette longue bio filmée de Che Guevara, présentée en deux parties, ressemble à une impasse : celle de son réalisateur, Steven Soderbergh, prisonnier d’un point de vue intenable face à son personnage. Christophe Chabert

Dans l’excellent bouquin de Peter Biskind Sexe, mensonges et Hollywood, Steven Soderbergh, à la recherche d’un film digne de son coup d’essai palmé à Cannes, s’exclame : «Depuis quand je suis formaliste ? Je n’étais pas comme ça, avant…» Cette confession revient en mémoire à la vision du Che. Pourtant, il s’est passé beaucoup de choses dans la carrière de Soderbergh depuis À fleur de peau (polar esthétisant et désincarné tourné en 1994). Sa rencontre avec George Clooney qui lui a ouvert les portes d’Hollywood ; la création de Section Eight, société de production tentant de revivifier le cinéma indépendant américain ; les oscars pour Erin Brockovich et Traffic ; les dollars avec la série des Ocean’s. Une carrière sinueuse qui, ces dernières années, a surtout conduit à des films indigents, à l’exception du remarquable Bubble tourné en HD pour trois sous avec des acteurs amateurs. Le Soderbergh formaliste a refait lentement surface, comme dans The Good German, copie creuse des films noirs des années 40. Avec ce biopic sur Che Guevara, on se disait que le cinéaste allait cette fois-ci trouver une matière, du sens et du souffle. Déception à l’arrivée : Che prend quatre heures pour dire qu’il ne peut rien dire, et Soderbergh filme tout cela avec une froideur qui relève de l’impuissance plutôt que d’un point de vue fort.Distance
La première partie (L’Argentin) laisse indécis. On assiste à l’ascension de Guevara pendant la Révolution cubaine dont il est un des moteurs avec Fidel Castro. Son arrivée sur l’île, ses premiers combats dans les campagnes, puis la prise des principales villes avec une armée de plus en plus nombreuse composée de paysans que Guevara traite avec une réelle fraternité. Cela donne lieu à un film de guerre épique qui évacue l’analyse au profit de l’action pure. Bon point, même si Guevara, sous les traits d’un Benicio Del Toro visiblement investi jusqu’aux tripes, en ressort comme un pur héros hollywoodien, récupération curieuse de l’idéologie d’en face par les moyens de son ennemie jurée. Soderbergh, cinéaste intelligent sinon intellectuel, semble avoir conscience de ce paradoxe : faire une hagiographie, d’accord, mais une hagiographie avec des pincettes ! Du coup, il pose sa caméra à des kilomètres de distance, pour des plans larges où le Che se perd dans le décor et dans la foule. Pas de gros plans, sinon lors des flash-forwards sur sa visite américaine, en noir et blanc et en 16mm, où Guevara tente de résister à la pression médiatique et mondaine à laquelle on le soumet. Passe alors un frisson lors de son discours à l’ONU en 1964, un lyrisme qui sera la seule empathie que Soderbergh s’autorise sur l’ensemble du métrage. Pour le reste, on sent la leçon de Ford : un homme qui vit pour sa communauté doit être présenté à l’écran au centre de cette communauté. Mais Ford finissait par magnifier en plans serrés John Wayne, ou même les chefs indiens qu’il admirait pour leur noblesse. Soderbergh, lui, attend que son personnage ait un genou à terre pour enfin se rapprocher de lui.Camouflage
C’est l’enjeu de la deuxième partie (Guerilla). Guevara disparaît pendant un an et ressurgit en Bolivie où il pense rejouer l’opération qui a conduit à la Révolution cubaine : fédérer un peuple aliéné par un pouvoir autoritaire et corrompu, lui apprendre à lire, utiliser ses talents pour les mettre au service de l’idéal socialiste. C’est un échec dont Guevara ne sortira pas, sinon par la puissance mythique de sa postérité. Ce second volet est donc un remake «raté» du premier, dont Soderbergh aurait inversé tous les termes de mise en scène. Plus de scope, mais du 1.85 ; les cadres statiques et lointains sont remplacés par une caméra à l’épaule proche des corps en souffrance. Ça devrait tout changer, mais ça ne change rien. Paumés dans la jungle, sales et barbus, les combattants se fondent à nouveau dans leur environnement, les acteurs se ressemblent tous, et Guevara n’est plus qu’un soldat parmi d’autres, dépassé et maladroit (l’erreur fatale qui entraîne sa chute montre sa progressive perte de discernement). Ce requiem au Che est donc joué sur une seule note aussi monotone que dans la première partie, mais en mineur, sans spectacle ni emphase. Il y a même un aveu final éloquent : la mort de Guevara est filmée en caméra subjective, comme si, enfin débarrassé de ce personnage encombrant, le cinéaste pouvait entrer en symbiose avec lui. Mais peut-être est-ce donner trop de sens à ce qui n’est qu’une astuce formelle dissimulant une réelle absence de discours. Ce Che est donc un gâchis plutôt qu’un échec. Comme disent les frères Coen dans Burn after reading : «Qu’a-t-on appris ? On ne sait pas ! Qu’on ne le refera plus…».Che 1ère partie, L’Argentin, de Steven Soderbergh (Fr-Esp-Éu, 2h07) avec Benicio Del Toro, Demian Bichir…
2e partie, Guerilla
Sortie le 28 janvier.

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