Pétaradante, précise et inventive, la nouvelle promotion du Conservatoire présente le très casse-gueule et ambitieux "Massacre à Paris", mis en scène par un Laurent Brethome plus convaincant que jamais. Nadja Pobel
Au commencement était le COP-spé, acronyme barbare désignant le Cycle d'Orientation Professionnelle spécialisée du Conservatoire de Lyon, une classe unique en son genre. Le comédien Philippe Sire l'a imaginée il y a de cela huit ans pour des élèves qui envisagent un avenir professionnel dans le spectacle vivant. Les précédentes promotions ont accouché de La Meute, du collectif Bis – deux des toutes meilleures compagnies actuelles en Rhône-Alpes – et d'un groupe adoubé et embauché par Gwenael Morin dans son Théâtre du Point du jour. C'est dire la pression qui repose sur les épaules des douze étudiants actuels à l'heure de faire leurs premières preuves. Pari réussi haut la main cette semaine au Théâtre de l'Elysée.
Non contents d'être attendus au tournant, ils devaient en plus recevoir en héritage un texte marqué à tout jamais du sceau de Patrice Chéreau qui, tout jeune, l'a mis en scène pour l'ouverture du TNP à Villeurbanne au printemps 1972 - les images de la scénographie expressionniste et démesurée de Richard Peduzzi ornent encore les murs du théâtre. Potentiellement encombrante, l'ombre du maître n'a pas effrayé la juvénile équipe, les élèves endossant avec fluidité, et sans que la compréhension n'en souffre, les vingt-trois rôles imaginés par Christopher Marlowe - sans compter les morts.
Pour parvenir à faire exister ce carnage sur le petit plateau de l'Elysée, Laurent Brethome, connu pour son théâtre cash et agité, utilise toutes les trappes de ce petit et néanmoins très modulable plateau, revoie la configuration du rapport scène/salle à la pause (on passe du bi-frontal au frontal), imagine lors du massacre une pluie de chaussures comme autant de victimes qui tombent avec fracas sur la musique composée par Jean-Baptiste Cognet (La Meute encore) et Johan Boutin, inventant des codes répétitifs comme autant de marqueurs destinés à désamorcer lourdeurs et démonstrations trop appuyées (un crachat chorale à chaque prononciation du nom du duc de Guise, un bruit de lame pour chaque personnage mort...). De prime abord étranges ou artificielles, ces virgules deviennent cohérentes à mesure qu'elles aèrent le texte, laissant du même couper s'exprimer des acteurs qui ne sont dès lors plus obligés de se concentrer sur l'aspect didactique du récit (où il est question du déroulement historique de la Nuit de la Saint-Barthélemy et des bisbilles entre Guise et le royaume de France). Au contraire, ils en prennent pleinement possession.
On purge le théâtre
Chaque acteur y trouve son compte, les rôles principaux (comme Thomas Rortais, révélé par Michel Raskine dans son récent et impeccable Triomphe de l'amour) comme les plus petits, les femmes incarnant et rendant crédibles indifféremment des hommes et vice-versa, sans que cela ne pose le moindre problème de réception du message. Sans doute car ce choix de distribution n'est pas intentionnel. Nulle malice en effet à mettre de la féminité dans le personnage du duc d'Anjou ou de la masculinité dans celui de la vieille reine de Navarre.
Paradoxalement, il y a dans ce spectacle tous les travers souvent associés à une jeune troupe qui débute : de la musique (magnifique chanson de Badalamenti version Twin Peaks interprétée par la Reine Margot/Mathilde Mennetrier), de la nudité (un court moment), des cris, des dialogues un peu trop dans les aigus, du sang. Bref, il serait facile d'accuser Brethome de jeunisme. Mais là encore, tout se tient. Car il n'était pas nécessaire de brider la vitalité de ces élèves (qui en ont manifestement à revendre), seulement de la canaliser, sans leur ôter leurs modes d'expression. In fine - et c'est bien la finalité de l'ensemble – ils servent le texte et seulement le texte, ne s'appesantissant pas sur les cadavres ou dépeignant la cour royale comme un monde de hipsters écervelés, totalement irresponsables et tout entiers tournés vers l'hédonisme, l'égoïsme et le désir constant de vengeance. La résonance avec ce qui se passe en ce moment dans une classe politique française peopolisée, adepte des petits meurtres entre amis, est édifiante. Tout comme ces massacres à la chaîne font douloureusement écho aux tragédies syrienne/vénézuélienne/ukrainienne...
Rien de que très normal, à cette aune, à ce que cette troupe aille bientôt présenter ce travail au Festival des Ecoles supérieures de théâtre, alors que le Conservatoire n'en est pas une ! La pièce passera aussi par la ville où est installée la compagnie de Laurent Brethome (Le Menteur Volontaire), La Roche-sur-Yon, cet été au festival Esquisses.
Il en est peut-être des promos du "Cons'" comme des générations de l'équipe de France de handball. Chacune fait aussi bien que la précédente. Tâchons simplement de leur trouver des surnoms moins idiots que les Bronzés-Barjots-Costauds-Experts.
Massacre à paris
Au Théâtre de l'Elysée, jusqu'au samedi 15 mars