La littérature à l'heure du docu-fiction

Livres / La Villa Gillet accueille Éric Chauvier et Tristan Jordis, deux écrivains dont les livres se situent aux frontières du documentaire et de la fiction. Un genre hybride pour deux récits inclassables… Yann Nicol

Depuis quelques années, la télévision et le cinéma usent (et abusent) du docu-fiction, un genre qui gagne petit à petit le monde de la littérature Ce n’est peut-être pas un hasard de constater que c’est un projet cinématographique avorté qui est à l’origine du premier livre de Tristan Jordis, puisque Crack, paru au Seuil au mois de septembre dernier, devait être, à la base, un documentaire filmé. Le jeune homme, confronté à des difficultés de réalisation (les risques, le manque de collaboration, la relation viciée par l’argent…), s’est finalement rabattu sur l’écriture littéraire pour rendre compte de son expérience dans l’univers du crack, porte de La Chapelle. En se liant avec les habitués de l’Espoir Goutte d’Or, une association qui soutient les toxicomanes pendant la journée, Tristan Jordis est parvenu à s’infiltrer dans la ronde nocturne de ces égarés dont le seul but est de mettre la main sur leur «galette» de crack, une drogue dévastatrice apparue au début des années 90 et considérée comme la cocaïne du pauvre.

C’est de la bonne
Les combines, l’attente, le manque, la peur, la violence, mais aussi la déchéance, la marginalisation, la prostitution ou la prison : Tristan Jordis nous donne là un voyage au bout de l’enfer avec une précision et un réalisme saisissants qui font de Crack un passionnant documentaire. Mais quid de la fiction, dans ce méticuleux travail d’enquête ? Celle-ci réside avant tout dans la mise en scène de sa propre expérience. En intégrant au document une part personnelle et autobiographique (autofictionnelle ?), Jordis fait de cette enquête sociologique une quête individuelle, et de ce récit sociologique un roman d’initiation. Dont la fiction, nous le savons depuis bien longtemps, n’est jamais absente… C’est le même type de dynamique qui anime le second livre d’Éric Chauvier, que l’on avait découvert voilà deux ans avec l’excellent Anthropologie, et qui poursuit avec Si l’enfant ne réagit pas (Allia) son inclassable travail d’anthropologie littéraire (ou de littérature anthropologique ?). La démarche scientifique de l’anthropologue, appelé à évaluer les démarches éducatives d’un foyer pour adolescents en difficulté, trouve un écho dans l’introspection de l’écrivain. L’observation de ces jeunes gens (en particulier la très intrigante Joy) détourne petit à petit le professionnel de son enquête pour le mener vers ses propres interrogations intimes et familiales. Un entremêlement des registres et des approches qui fait toute la singularité d’une œuvre dont le cœur est avant tout la langue, unique et inventive. Plus encore que Tristan Jordis, l’écriture d’Éric Chauvier aux frontières du document et de la fiction nous assure d’une chose : tout cela est bien de la littérature, et de la bonne.

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