Josiane Gouvernayre, donatrice pour l'Histoire

Lundi 28 mars 2022

Musée / Josiane Gouvernayre, octogénaire iséroise, était reçue à bras ouverts mardi 22 mars au musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère, à qui elle a fait don d'une série d'objets personnels datant de la Seconde Guerre mondiale.

Photo : Valentine Autruffe

Elle dĂ©balle de son petit carton de minuscules robes Ă  l'ancienne, avec gros boutons et cols claudine. « Ce corsage, je l'adorais, il est cousu en toile de parachute », explique-t-elle Ă  Jean-Pierre Barbier, prĂ©sident du dĂ©partement de l'Isère. Josiane Gouvernayre Ă©tait l'objet de toutes les attentions, au musĂ©e de la RĂ©sistance et de la DĂ©portation. Cette Nord-IsĂ©roise est l'une des 307 personnes qui ont rĂ©pondu Ă  la collecte d'objets datant de 1939 Ă  1945 organisĂ©e par l'institution l'an dernier. Bons d'essence, photos, publicitĂ©s d'Ă©poque, objets d'Ă©colière... Et plein de souvenirs qu'elle raconte en vrac en mĂŞme temps qu'elle inventorie ses dons. « Je suis nĂ©e en 39, j'Ă©tais petite, mais j'avais conscience qu'on vivait un moment difficile », dit-elle. « J'avais une instit' qui Ă©tait dans la RĂ©sistance, elle disait toujours : "si vous savez, vous vous taisez". Et je me souviens bien quand les gens ont brĂ»lĂ© dans leur maison Ă  Salagnon (en fĂ©vrier 44, sept jeunes RĂ©sistants ont Ă©tĂ© tuĂ©s par les Allemands, mitraillĂ©s et brĂ»lĂ©s, ndlr). » Dans la ferme familiale de Trept, près de Bourgoin-Jallieu, elle se rappelle très bien de la difficultĂ© de la vie quotidienne en temps de guerre. Le rationnement, les privations, les visites impromptues de RĂ©sistants, la peur. « Les gens affamĂ©s s'arrĂŞtaient dans les fermes, on leur donnait du lait, parfois des œufs. Un jour, un œuf s'est cassĂ©, l'homme s'est mis Ă  quatre pattes par terre pour lĂ©cher, tellement il avait faim. Alors, aujourd'hui, quand on fait les difficiles... » Elle taquine mais elle est Ă©mue, Josiane Gouvernayre, de se sĂ©parer de ses robes de petite fille soigneusement raccommodĂ©es et conservĂ©es. « Surtout mon petit corsage que j'aime beaucoup. Mais je l'ai pris en photo. »

156 dons intègrent officiellement la collection

Ce corsage intègre très officiellement la collection des MusĂ©es de France, Ă  l'instar de 93 autres objets issus des dons d'IsĂ©rois. 63 documents d'Ă©poque rejoignent, eux, l'inventaire documentaire. « Merci », rĂ©pète, touchĂ©e, la directrice du musĂ©e de la RĂ©sistance et de la DĂ©portation, Alice Buffet. Elle rappelle les trois objectifs de cette collecte, dont le rĂ©sultat ne sera pas prĂ©sentĂ© au public tout de suite : « Avec la disparition des tĂ©moins, il y a un risque de disparition des objets. Il s'agit aussi de continuer de dĂ©velopper nos collections, et de les enrichir en vue du transfert du musĂ©e au Palais du Parlement (place Saint-AndrĂ©, ndlr). » Un dĂ©mĂ©nagement en plein hypercentre, que Jean-Pierre Barbier espère voir aboutir en 2024 « pour les 80 ans de la libĂ©ration de Grenoble. Mais si c'est en 2025, ce sera en 2025... » Le principe de la collecte est l'essence mĂŞme du musĂ©e de la RĂ©sistance et de la DĂ©portation, rappelle Alice  Buffet. L'institution a Ă©tĂ© créée par Henri Guillard, professeur d'Ă©cole primaire, qui avait demandĂ© Ă  ses Ă©lèves, en 1962, de faire l'inventaire dans les objets familiaux. Pour celle de 2021, chaque proposition a Ă©tĂ© soumise Ă  un comitĂ© scientifique. « Avec les orientations suivantes, afin d'Ă©quilibrer nos collections : privilĂ©gier les objets en trois dimensions, si possible datant de la première partie du conflit, de prĂ©fĂ©rence du nord de l'Isère qui Ă©tait sous-reprĂ©sentĂ©. Et surtout, nous cherchions Ă  illustrer la vie quotidienne et l'Ă©tat d'esprit des IsĂ©rois pendant la Seconde Guerre mondiale. »

Le président du Département souligne lui aussi ce tournant : « L'ère des témoins se termine, malheureusement. C'est pourquoi ce musée a toute son importance, car il s'agit de ne pas diluer ce qu'il s'est passé. » Et de remercier chaudement les nombreuses familles qui ont participé, dont les dons les plus remarquables ont aussi été présentés ce mardi-là. « Nous savons que cela peut être un déchirement de se séparer du souvenir d'un père ou d'un grand-père... Mais ce sont des témoignages irremplaçables, qui marquent le quotidien des Isérois en 39-45. Le devoir de mémoire ne peut pas être uniquement devant les monuments aux morts. La culture, c'est le seul moyen d'éveiller les consciences et d'éviter que cela ne se reproduise. » Et d'évoquer la situation ukrainienne, en regardant les bons d'essence distribués pendant le conflit de 39-45 : « Pourvu que tout ceci ne nous revienne pas. »